Florian Pugnaire & David Raffini
SHOW ME
2016
Vidéo HD, 7 min / Opel GT, tôles acier peintes
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Vidéo bientôt en ligne
Cette œuvre regroupe divers éléments, pour moi, inséparables : des tôles présentées selon une séquence quasiment clinique des déformations qui leur ont été infligées ; la carcasse d’une Opel GT rouge, de ce rouge vraiment rutilant qui signale les capacités sportives d’une voiture destinée à une aristocratie d’utilisateurs ; une vidéo qui fait le récit, en une sorte de prosopopée filmique, de sa déconstruction, sa dislocation, son démembrement, son écartèlement programmés qui s’apparentent à une mise à mort insoutenable. Sous les coups de boutoir et les poussées des vérins hydrauliques, l’Opel tressaille, palpite, se fissure, se déchire jusqu’à s’affaisser enfin sur le sol, devenue, tout soudain, par ce supplice subi, une œuvre d’art. Est ainsi illustré ici ce que nous savons des machines mécaniques : lorsqu’elles cessent de fonctionner, inutiles, obsolètes, elles ne survivent, dans les musées qui, parfois, les accueillent, que par la mise en exergue de ce qui en elles peut relever d’une approche esthétique. Ce que la vidéo nous montre, c’est le processus accéléré de cette esthétisation. Toute œuvre d’art ne serait donc qu’un achèvement figeant, embaumée, pétrifiée, dans une configuration formelle qui la désincarne de sa propre virtù. On est en droit de se laisser aller à des glissements entre l’approche émotionnelle et l’analyse critique.
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Posé au sol, non soclé, ce véhicule noble, guerrier, métaphore d’un cheval véloce, est comme l’emblème de son pilote, de son chevalier absent. Il est un gisant. Les tôles rouges sont les avatars d’un même écu, d’un même bouclier, dont le blason est réduit à sa seule couleur impériale : le gueules que l’on oserait qualifier ici d’écorché. Cette Opel guerrière est donc littéralement la Figure exaltée dont la vidéo raconte et illustre les derniers instants. Cette célébration commémorative se cristallise en une vanité édifiante de la vanité de tout galop héroïque : de toute vie illustre. Elle serait donc une statue plus qu’une sculpture. Pourtant, non loin d’une compression de César, dans l’entourage de Frank Stella et de Sol LeWitt, elle semble s’imposer comme une sorte de correction à l’emprise minimaliste de la sculpture moderne, une sorte de réplique, comme un répons, qui la porte aux confins du nouveau réalisme. On pourrait la réduire encore à une sorte d’avatar du ready-made. Ce qu’elle n’est pas. À une sorte d’illustration du processus de fabrication. Ce qu’elle n’est pas non plus. L’expressivité que lui injecte la vidéo relatant son supplice interdit toute fixité d’explicitation formaliste. Dans cet ensemble se condensent donc toutes les interrogations qui se nouent dans toute expérience se raccordant à l’histoire de la statuaire et de la sculpture. Elle reconduit ici l’impérieuse statue, car il s’agit bien d’une statue de Genghis Khan dressée magistralement par Phillip King, à son destin inéluctable qu’elle aussi nous laisse pressentir dans l’affirmation érigée de sa puissance.
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Texte : Bernard Ceysson