Florian Pugnaire & David Raffini
ENERGIE SOMBRE
2013
Vidéo HD, 15 min / Volkswagen Transporter
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Un camion type Volkswagen Transporter, violemment détruit (compacté, éclaté, et brûlé), gît au milieu de l’espace à proximité d’une vidéo de 15 minutes qui tourne en boucle. La carcasse semble extraite d’un accident impossible à analyser, ayant subi non seulement une compression, mais aussi une explosion. Dans une atmosphère allant du road-movie au western, en passant par la série B et la science fiction, le film diffusé à côté de la carcasse témoigne sous la forme d’une fiction, de la transformation de ce camion en sculpture, et des étapes successives de sa métamorphose.
« Les chocs du montage et des sons nous font éprouver les coups du véhicule se jetant vers son anéantissement. Cette perception disloquée n’est pas seulement un accompagnement adéquatement composé de notre expérience de la destruction. Elle est celle, exacerbée sans doute, de notre saisie postmoderne du monde, dans laquelle le flux médiatique incessamment renouvelé mêle les événements du réel à nos réminiscences culturelles, nos rêveries et nos désirs subjectifs que ce même flux abreuve avec une rapidité déconcertante. Dans la vidéo, cette fragmentation – ce temps subjectif peut-on dire –, se juxtapose à deux autres temporalités principales. Dans l’une d’elles, nous suivons le voyage du camion Volkswagen du plein midi jusqu’au cœur de la nuit, depuis son intégrité jusqu’à son ultime démembrement : nous y vivons le temps irréversible, accéléré par la précipitation du véhicule. En alternance à ce parcours, les vicissitudes du camion sont interrompues par des phases apaisées offrant les images crépusculaires de son agonie. Ces moments, de quasi stase, diffusent bientôt un trouble. Leur succession en effet semble suivre la progressivité d’un temps fléché : chaque apparition du véhicule dressé et comme désossé au centre d’un paysage naturel montre l’émanation de fumées lentes, chaque fois plus denses. Au fur et à mesure que ces phases interviennent, les fumées se développent en nuées sombres et moutonnantes, rendant manifeste leur réabsorbement dans la carcasse agonisante. Nous ne pouvons alors que constater la réversion du mouvement, la ré-aspiration des fumées vers le bloc démantibulé, en éprouvant un temps plein d’étrangeté, bien que la cause technique – l’inversion du film – en soit identifiable. Et soudain nous comprenons : la déflagration finale dissipe ce que nous avions attendu sans le savoir. Elle est la rétraction ultime, l’explosion à l’envers, une image inversée du Big Bang, le Big Crunch, bientôt dissout dans une auréole brumeuse de photons. Fin. »
Sylvie Coëllier, Énergie sombre, chronique d’une fin annoncée (extrait)